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LES GROUPEMENTS LEXICAUX 5 страница



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Une autre particularité du mot consiste dans son appartenance à une des parties du discours. Ainsi on distingue les substantifs, les adjectifs, les verbes, les adverbes, les pronoms, etc. Les parties du discours sont étudiées par la grammaire : elles constituent la base de la morphologie. C'est à partir des propriétés des parties du discours que la grammaire crée les règles des agencements de mots, les règles qui sont le produit d'un long travail d'abstraction de la mentalité humaine. Il serait pourtant faux de traiter les parties du discours de catégories purement grammaticales En effet, les parties du discours se distinguent les unes des autres par leur sens lexical : les substantifs désignent avant tout des objets ou des phéno­mènes, les verbes expriment des processus, des actions ou des états : les adjectifs - des qualités, etc. C'est pourquoi il serait plus juste de qualifier les parties du discours de catégories lexico-grammaticales.

La composition morphémique des mots est aussi étudiée par la gram­maire, pourtant elle a un intérêt considérable pour la lexicologie. La fa­culté du mot de se décomposer en morphèmes présente une des caractéristiques grammaticales du mot qui. en particulier, le distingue du morphème. Ce dernier, étant lui-même la plus petite unité significative de la langue, ne peut être décomposé sans perte de sens. Ainsi le mot amener comporte trois morphèmes : a-men-er, mais ces derniers ne se laissent pas décomposer en plus petites unités significatives. On peut seulement en déterminer la structure phonique, en isoler les phonèmes. Les phonèmes ne possèdent point de sens propre, ils ne servent qu'à distinguer les morphèmes (cf. : amener et emmener : mener et miner : tremper et tromper : lever et laver ; cacher, cocher et coucher). Ce sont principa­lement les mots autonomes qui se laissent décomposer en morphèmes. Quant aux mots-outils, dont beaucoup se rapprochent à certains égards des morphèmes, ils constituent généralement un tout indivisible.

Parmi les mots autonomes, il y en a de simples qui sont formés d'une seule racine. Tels sont homme, monde, terre, ciel, arbre, table, porte, chambre, etc. Ces mots pourraient être aussi appelés « mots-racines ». Plus souvent les mots contiennent une ou plusieurs racines auxquelles se joignent des affixes (les préfixes placés avant et les suffixes placés après la racine) et les terminaisons (ou) les désinences qui expriment des significations grammaticales. On distingue encore le thème (ouïe radical), c'est-à-dire la partie du mot recelant le sens lexical et précé­dant la terminaison à valeur grammaticale. Ainsi dans l'exemple : Nous démentons formellement ces accusations, le mot démentons comprend la racine -ment-, le préfixe dé-, le thème dément-, la terminaison -ons La racine recèle le sens lexical fondamental du mot. Le thème qui com­porte tout le sens lexical du mot s'oppose à la désinence qui est porteur d'un sens grammatical.

Dans le français moderne le thème apparaît exclusivement dans la conjugaison des verbes qui ont conservé jusqu'à présent des traits de l'ancien synthétisme, tandis que dans les nominaux, depuis la destruction du système de déclinaison, le thème ne se laisse plus dégager, il coïncide avec le mot. Les finales des substantifs et des adjectifs telles que animal - animaux, paysan - paysanne ; blanc - blanche, fin -fine ne sont plus des désinences mais de simples alternances phoniques à valeur gramma­ticale.

Dans les travaux des linguistes français le terme « radical » s'em­ploie encore pour désigner la partie du mot à laquelle s'applique l'un ou l'autre affixe servant à former ce mot. Pour plus de précision il serait préférable de dénommer cette partie du mot par un terme spécial. Celui de « base formative » ou simplement « base » serait plus approprié. Ainsi contrairement au thème (radical) le terme « base » sera appliqué à l'élé­ment du mot auquel s'ajoutent l'affixe ou les affixes formant ce mot. Par exemple, dans acclimatation la base formative sera présentée par la par­tie acclimat- à laquelle s'applique le suffixe -ation. Les bases fbrmatives peuvent être ou non en corrélation avec des mots indépendants. Elles sont respectivement appelées libres comme dans refaire, laitière, cache-nez (cf. -.faire, lait, cache, nez) et liées comme dans fracture, bibliothèque (cf. -.fraction, bibliophile, jilmothèque). À l'encontre du thème (ou radi­cal), la base formative ne recèle guère comme règle, tout le sens lexical du mot.

Les affixes appliqués à la base peuvent tout simplement en modifier le sens. Tels sont les cas de jardinet, maisonnette, refaire. Plus souvent les rapports sémantiques entre la base et Faffixe sont plus compliqués ; dans ces derniers cas, on crée des mots qui se distinguent essentiellement par leur sens de la base formative. Ainsi le mot orangeade (f) ne désigne point une espèce d'orange, mais une boisson rafraîchissante au sirop d'orange : un poursuiteur n'est même pas une personne qui en poursuit une autre, mais plus spécialement un cycliste-spécialiste de la poursuite.

Donc, les affixes peuvent conférer aux mots qu'ils forment des sens lexicaux ; pourtant ils sont aussi des porteurs de valeurs grammaticales Ainsi, par exemple, les suffixes des substantifs ont pour rôle accessoire de marquer le genre : -et,-(e)ment, -âge forment des substantifs mascu­lins ; -té, -ation, -ance(-ence), -ce, -ure, -ade - des substantifs féminins, etc.

Les racines, les affixes. les désinences sont des morphèmes II s'en­suit des exemples cités que les morphèmes peuvent être porteurs de va­leurs de caractère différent : les racines ont une valeur d'ordre lexical. les désinences - des valeurs grammaticales ; les affixes - généralement des valeurs lexico-grammaticales. Quant aux thèmes (radicaux) et aux bases formatives, le nombre des morphèmes qui les constituent est variable il va de plusieurs morphèmes (cf. : relis-ez ; déplorable-ment), à un seul. Dans ce dernier cas il y a coïncidence avec la racine du mot dont ils font partie (cf. : patin-ans, patin-aire).

§ 14. La démarcation entre le mot et les unités des niveaux contigus. Nous avons établi précédemment qu'en français les limites pho­nétiques dans la chaîne parlée sont estompées. Les limites sémantiques sont tracées par l'homonymie. En effet, l'homonymie sépare les vocables à enveloppe sonore identique en vertu de leur sens absolument distinct Les homonymes peuvent aussi se distinguer par leurs catégories gram­maticales et leur orthographe, pourtant ce ne sont que des indices supplé­mentaires, alors que la séparation sémantique constitue un critère différentiel nécessaire et suffisant. Ainsi, timbre au sens de « cachet de papier gommé, avec effigie, qu'on met sur les lettres pour les affranchir, sur les quittances » doit être actuellement qualifié d'homonyme de tim­bre - « petite cloche de métal qu'on fait résonner avec un marteau » uniquement à partir d'un critère sémantique1.

Afin de définir les limites grammaticales du mot il faut procéder à une confrontation du mot avec les unités voisines : le morphème et le groupe de mots.

Nous avons déjà spécifié la différence entre le mot et le morphème : le mot possède une autonomie dont le morphème est dépourvu. Si le morphème n'a de vie qu'à l'intérieur du mot. le mot est une unité relativement indépendante tant pour la forme que pour le contenu. C'est grâce à son indépendance que le mot peut constituer à lui seul une proposition (Entrez ! Attention !). L'indépendance du mot se manifeste aussi par sa faculté de se combiner librement (conformément à la logique et aux nor­mes syntaxiques d'une langue donnée) avec les autres 'mots. Ainsi il peut changer de place et occuper une position distante par rapport aux autres vocables. Quant au morphème sa place dans le mot français est fixée.

Toutefois le degré d'indépendance n'est pas le même pour tous les mots. Ainsi l'autonomie des mots-outils est nettement limitée. On peut dire que les mots-outils rappellent en quelque sorte les morphèmes. Cer­tains linguistes émettent l'opinion que les mots-outils tels que les pro­noms personnels atones et les articles, qui accompagnent toujours certains mots autonomes en qualité de porteurs de sens grammaticaux, sont des morphèmes au même titre que les désinences. Ainsi J. Vendryes (dans son ouvrage « Le langage ») traite les pronoms personnels atones et les particules négatives de simples morphèmes. Selon lui je ne t'ai pas vu représente un seul mot, de même que nous ne vous aurons pas vus. Cette opinion est contestable. Toute langue possède un certain nombre de cas transitoires qui se situent à la limite de phénomènes distincts.

Le mot et le morphème sont des unités foncièrement différentes. Mais il se trouve aussi des cas amphibies, des phénomènes mixtes, qui participent à la fois du mot et du morphème. Pour le français ce sont les conjonctions, les prépositions, les pronoms personnels atones, les arti­cles, les particules négatives. Tout comme les morphèmes ils sont dé­pourvus de la fonction nominative et ne peuvent devenir des termes de la proposition ; les conjonctions et les prépositions expriment des rapports, trait caractéristique des désinences grammaticales. Pourtant ils ;ont une certaine autonomie d'emploi, ce qui les rapproche des mots. Ni les articles, ni les pronoms personnels atones n'ont entièrement perdu ,Jeur indépendance, ils ne sont pas organiquement liés aux mots. Les Larticles peuvent être séparés des substantifs qu'ils déterminent : dans le nélodieux bavardage des oiseaux ou dans une intolérable blessure les |adjectifs mélodieux et intolérable s'intercalent entre l'article et le subs-titif. Les pronoms personnels de conjugaison manifestent en plus la acuité de changer de plate par rapport au verbe qu'ils accompagnent an dira selon les circonstances : il viendra, il ne viendra pas et viendra-t-il ? Les verbes auxiliaires dans les temps composés ont aussi un em­ploi indépendant, ce qui semble les rapprocher des mots, mais à rencontre tes mots-outils ils ont entièrement perdu leur autonomie sémantique et servent qu'à former les variantes grammaticales des verbes, ce qui nous autorise à les qualifier de morphèmes particuliers.

Il n'est parfois pas moins difficile d'établir les limites entre un mot tun groupe de mots. Parmi les linguistes russes qui ont traité le problème du mot et ses limites, une place à part revient au professeur A.I. Smir-nitsky qui a démontré que le mot est caractérisé par une intégrité sémanti­que et formelle. Toutefois, l'intégrité sémantique, qui se traduit par la faculté d'exprimer une notion, un concept, est propre non seulement aux mots, mais également aux groupes de mots. Il en est autrement pour l'intégrité formelle qui appartient en propre aux mots et sert, par conséquent, de critère distinctif pertinent.

Pour la plupart, les mots se laissent aisément distinguer des groupes de mots ; tel est le cas des mots simples ou mots-racines et des mots dérivés formés par l'adjonction d'affixes. La distinction des mots compo­sés, qui par leur structure se rapprochent le plus des groupes de mots, présente de sérieuses difficultés. Celles-ci sont surtout grandes dans la langue française où les mots composés sont souvent formés d'anciens groupes de mots.

En appliquant à la langue française le critère avancé par A.I. Smir-nitsky, on devra reconnaître que les formations du type fer à repasser, chemin de fer, pomme de terre sont, contrairement à l'opinion de beau­coup de linguistes français, des groupes de mots, alors que bonhomme, basse-cour, gratte-ciel sont des mots.

Donc, il faut faire la distinction entre un mot et un morphème, d'un côté, un mot et un groupe de mots, de l'autre1. Néanmoins il reste fort à faire pour fixer les limites du mot ; c'est un problème ardu qui exige un examen spécial pour chaque langue.

§ 15. L'identité du mot.Envisagé sous ses aspects phonétique, gram­matical et sémantique le mot présente un phénomène complexe. Pourtant dans l'énoncé, dans chaque cas concret de son emploi, le mot apparaît non pas dans toute la complexité de sa structure, mais dans une de ses multi­ples formes, autrement dit, dans une de ses variantes.

Comment savoir si nous avons affaire à des mots distincts ou aux variantes d'un seul et même mot ?

De même que pour les mots différents les variantes admettent des distinctions d'ordre matériel (l'enveloppe sonore) et d'ordre idéal (le sens). Toutefois ces distinctions matérielles et idéales ne sont possibles que dans une certaine mesure, dans un cadre déterminé. Pour les va­riantes ces distinctions ne seront que partielles et ne détruiront jamais l'intégrité du mot.

Envisageons les variantes possibles d'un mot :

- les variantes de pron onc i ati on : [mitirj] et |mitèg] pour mee­ting, [by] et [byt] pour but, [u] et [ut] pour août, [mœ :r] et [moers] pour mœurs, [egza] et [egzakt] pour exact, [kôta] et [kôtakt] pour contact :

- les variantes grammaticales àvaleur flexionnelle qui peuvent être à support morphologique : dors, dormons, dormez et à sup­port phonétique : sec - sèche, paysan -paysanne .

- les variantes pseudo-formatives (lexico-grammaticales) : -maigrichon et malgriot, maraude et maraudage, cuvage et cuvaison (du raisin) ;

- les variantes lexico-sémantiques :

a) à valeur notionneile : palette - « plaque sur laquelle les pein­tres étalent leurs couleurs » et « coloris d'un peintre » :

b) à valeur notionnelle-affective : massif- « épais, pesant ». au figuré esprit massif- « grossier, lourd » : moisir - « couvrir d'une mousse blanche ou verdâtre qui marque un commence­ment de corruption ». au figuré moisir quelque part - « de­meurer inutile, improductif » ;

- les variantes stylistico-fonctionnelles :

a) à support phonétique : oui - littéraire et ouais - populaire, apéritif- littéraire et apéro - familier :

b) à support notionnel-affectif : marmite - « récipient » - littérai­re et « gros obus » - familier :

- les variantes orthographiques : gaîment et gaiement, soûl et saoul.

Il est à noter que les modulations grammaticales et stylistico-fonc­tionnelles n'attaquent jamais l'intégrité du mot. Dans j'ai dormi et je dormirai nous avons le même verbe dormir malgré l'opposition des temps.

Il en est autrement pour les modulations phoniques et notionnelles. Des distinctions phoniques ou notionnelles radicales amèneraient à l'ap­parition de mots différents En effet, malgré l'identité de leur aspect pho­nique calcul - « opération arithmétique » et calcul - « concrétions pierreuses » sont deux mots du fait que les notions qu'ils expriment n'ont rien de commun Les ternies thème et radical, désinence et terminaison à sonorité différente sont des mots distincts malgré l'identité de leur valeur sémantique. Pour qu'il y ait variantes d'un même mot il ne doit pas y avoir d'interdépendance entre les modulations dans leur enveloppe sono­re et leur valeur notionneile. mais il suffît d'avoir en commun quelque trait fondamental quant à l'aspect phonique et la valeur notionneile. Quant à l'aspect phonique cette communauté se traduit par la présence dans les variantes de la même racine qui constitue la base de la structure matérielle et sémantique du mot. La communauté notionnelle consiste dans le lien qui s'établit entre les divers sens du mot.

§ 16. Sur la définition du mot.À première vue le mot paraît être quelque chose de très simple. Nous avons établi qu'en réalité il présentait un phénomène complexe, une unité dialectique à deux aspects : idéal et matériel.

Autant pour la complexité de sa structure que pour les difficultés qu'on a à le dégager, le mot reste jusqu'à présent le problème central de la lexico­logie.

La définition du mot est très malaisée. Toutefois il existe dans la litté­rature linguistique un grand nombre de définitions du mot sans qu'aucune ne soit universellement admise.

Dans son ouvrage « La langue russe » V.V. Vinogradov soumet à une analyse détaillée les définitions du mot les plus connues dans la lin­guistique mondiale et il en démontre l'insuffisance. Ce sont généralement des caractéristiques incomplètes qui ne révèlent qu'un des aspects du mot, son aspect lexical, grammatical ou phonétique. Et encore ces défini­tions sont-elles parfois incorrectes. Les définitions du mot proposées par les linguistes français sont souvent trop générales, elles pourraient s'ap­pliquer non seulement au mot, mais également à un groupejde mots et même à une proposition. Telles sont les définitions d'A. Darmesteter, A. Meillet et A. Dauzat . Puisqu'elles ne permettent point de dégager le mot des unités voisines, ces définitions ont une valeur pratique réduite.

D'autres définitions prétendent tracer les limites du mot. Là aussi leurs auteurs ne font souvent ressortir qu'un seul aspect du mot. Dans son article « Le mot » E. Setâlâ remarque ajuste titre qu'en définissant le mot les linguistes partent d'ordinaire de la fausse conception que le mot est « l'expression linguistique d'une notion particulière ». Les formules de ces linguistes ne révèlent que le côté purement logique du mot sans en signaler les autres particularités en tant qu'unité du système de la lan­gue. Pourtant la définition proposée par E. Setalà (les mots sont « les plus petites parties indépendantes du langage ») demeure elle-même in­complète

II est, en effet, très difficile de tracer les limites du mot et de l'envisa-ger sous tous les aspects : phonétique, grammatical et lexical. Dans la linguistique russe il n' y a guère non plus de définition du mot généralement admise. Parmi les plus réussies signalons celle de R A. Boudagov. laquelle reflète les plus importantes propriétés du mot : « Le mot représente lapins petite et indépendante unité matérielle (sons et « formes ») et idéale (sens) de caractère dialectique et historique »'

 

PREMIERE PARTIE

LES SOURCES D' ENRICHISSEMENT DU VOCABULAIRE FRANÇAIS

LA LANGUE EN TANT QUE PHÉNOMÈNE SOCIAL

§ 17. Remarques préliminaires.La langue se rapporte aux phéno­mènes sociaux. Elle surgit et se développe avec l'apparition et le dévelop­pement de la société. La langue ne conçoit pas en dehors de la société À son tour la société humaine ne peut exister sans langue. Ceci étant, la langue est caractérisée par ce qui est propre à tous les phénomènes so­ciaux : elle est au service de la société humaine. Toutefois, la langue possè­de ses traits particuliers et ce sont précisément ces derniers qui importent pour la linguistique. Ce qui distingue la langue des autres phénomènes so­ciaux, c'est avant tout sa fonction en tant que moyen de communication qui permet aux hommes de se comprendre mutuellement, de s'organiser pour le travail dans toutes les sphères de leur activité, et seul le langage humain, la langue de sons, peut remplir efficacement ce rôle.

La langue se modifie, se perfectionne en fonction du développement de la société à laquelle elle appartient. Les lois profondes qui régissent les faits linguistiques ne sauront être comprises qu'à condition d'être exami­nées dans leur liaison indissoluble avec l'histoire de la société, l'histoire du peuple qui est le créateur de la langue.

C'est avant tout dans l'histoire de la société qu'il faut chercher les-causes du renouvellement linguistique. Les transformations sociales, les changements qui s'opèrent dans les mœurs, le développement progressif des sciences amènent infailliblement des modifications dans la langue. Et c'est le peuple tout entier qui participe à la marche continue de la langue vers son perfectionnement. Certains linguistes français prétendaient que la langue est principalement l'œuvre des couches dites supérieures de la so­ciété. Ainsi J.' Damourette et E. Pichon préconisaient la « parlure bour­geoise » qui, àl'encontre de la « parlure vulgaire ». recèle toutes les richesses de la langue. À l'heure actuelle, vu la démocratisation de la langue cette opposition n'est plus pertinente. La notion de « parlure vulgaire » appli­quée au parler populaire n'est plus de mise.

Il ne faut pourtant point conclure que le rapport réel existant entre la langue, en tant que système, etl'histoire d'un peuple soit toujours direct et immédiat. Il serait faux d'affirmer que les lois qui président aux phénomè­nes grammaticaux et phonétiques dépendent directement des événements historiques ou des changements sociaux. L'histoire du peuple crée les con­ditions nécessaires des modifications qui se produisent dans la langue, elle sert de stimulant au développement de sa structure. Quant aux change­ments linguistiques eux-mêmes, ils se réalisent d'après les lois propres à la langue qui dépendent de sa structure concrète.

Il est pourtant un domaine de la langue dont le lien avec 1 "histoire du peuple est particulièrement étroit et manifeste. C'est le vocabulaire qui. étant en perpétuelle évolution, représente un système ouverte l'opposé des phénomènes d'ordre phonétique et grammatical. Les événements histori­ques n'amènent guère de changements brusques dans le fonctionnement de la langue dans son ensemble. Toutefois les grands bouleversements pro­duits au sein d'une société se répercutent immédiatement sur le vocabulai­re en y apportant souvent des changements importants. Tel fut le cas de la Révolution française du XVIIIe siècle qui, d'une part, fit tomber dans l'oubli des mots ayant trait à l'ancien régime (bailli, sénéehal, sénéchaussée, taille, dîme, etc.). et qui. d'autre part, donna naissance aune foule de mots et de sens nouveaux (démocratiser, nationaliser, anarchiste, propagan­diste, centralisation, nationalisation, etc.).

Mais ce n'est pas seulement aux époques de grands événements que le vocabulaire réagit aux changements sociaux. A tout moment nous as­sistons à l'apparition de vocables nouveaux. À la suite de l'élargissement des contacts entre les pays on fait des emprunts aux autres langues. C'est ainsi qu'ont pris racine en français les mots soldat, balcon, banquerou­te empruntés à l'italien, hâbler, cigare, pris à l'espagnol, rail, meeting, tennis venus de l'anglais, etc., dont beaucoup ne se distinguent plus des vocables de souche française. La langue tire constamment parti de ses propres ressources. Les transformations lentes ou rapides à l'intérieur de la société ont pour résultat la création de vocables nouveaux à l'aide de moyens fournis par la langue même. Ainsi sont apparues et entrées dans 1 usage les formations nouvelles : normalisation, scolarisation, pellicu-lage, électrifter, mondialiser, électroménager, essuie-glace, tourne-disque, kilotonne, télévision, téléspectateur, pasteurisation, ionisation, brise-glace, sans-fil, aéroport. Le vocabulaire peut enfin se renouveler f sans que la forme des mots change : ce sont alors leurs acceptions qui se modifient ou qui se multiplient : bâtiment ne signifie pas 1"« action de bâtir » comme autrefois, mais ce qu'on a bâti, maison ou navire ; une antenne n'est pas seulement « une longue vergue qui soutient les voiles ou un conducteur métallique permettant d'émettre et de recevoir les ondes électromagnétiques », mais aussi « un organe des insectes et des crusta­cés ».

Ainsi, les principales sources de l'enrichissement du vocabulaire à l'examen desquelles nous allons procéder sont : l'évolution sémantique des vocables (mots et locutions), la formation de vocables nouveaux, les em­prunts.

CHAPITRE I

L'ÉVOLUTION SÉMANTIQUE DES UNITÉS LEXICALES

§ 18. L'évolution sémantique et son rôle dans l'enrichissement du vocabulaire.La science qui traite de la structure sémantique des unités lexicales de même que de l'évolution de cette structure est appelée séman­tique1.

La signification des mots et de leurs équivalents est, pour ainsi dire, un des aspects les plus « sensibles » de la langue. En effet, le contenu sémantique des vocables réagit immédiatement et directement aux moin­dres changements survenus dans la société, et non seulement dans la socié­té - facteur extralinguistique, mais dans la langue même. Cette extrême « sensibilité » du contenu sémantique des mots rend très difficile la classi­fication des nombreuses modifications de sens.

L'évolution sémantique des mots est une source interne féconde de l'en­richissement du vocabulaire. Il serait encombrant pour la langue d'avoir un vocable nouveau pour chaque notion nouvellement surgie. La langue réussit à accomplir ses fonctions à moindres frais ; elle utilise largement les mots qu'elle possède en leur soufflant une vie nouvelle. Ainsi chaque mot peut développer sa structure sémantique ou son système de significations.



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