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LES GROUPEMENTS LEXICAUX 18 страница



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Tout comme la langue nationale le dialecte local est au service de toutes les couches d'un peuple habitant un territoire déterminé. Le dialecte local possède des traits particuliers quant au système grammatical, au vo­cabulaire et à la prononciation qui le distinguent de la langue nationale.

Le rôle des dialectes locaux est surtout considérable du fait que l'un d'entre eux peut élargir la sphère de son emploi et donner naissance à la langue commune de toute une nation, il peut se développer en une langue nationale.

 

§ 74. La formation de la langue nationale française et de ses dia­lectes locaux. Le début du développement du capitalisme en France et,f par conséquent, de la formation de la nation et de la langue nationale remonte aux XIe et XIIe siècles, précisément à l'époque de l'apparition de nombreuses villes dans le pays. La lutte des habitants de ces villes et bourgs, des « bourgeois », pour leurs droits civils marque le début de la collision du capitalisme et du féodalisme.

La langue nationale française s'est développée du dialecte de l'Ile-de-France. Le rôle prédominant du dialecte de l'Ile-de-France, du fran­cien, date de la fin du XIIe siècle.1

Le francien, devenu le français, est proclamé langue d'État au XVIe siècle (avant le XVIe siècle c'était le latin qui était la langue d'État) ; c'est précisément en 1539, par l'ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François Ier que le français devient la seule langue officielle obligatoire dans toutes les régions françaises. Dès lors le français est reconnu comme la langue de toute la nation.

Pourtant le français n'a pas été d'un coup parlé par tous les habitants du pays. Le français en tant que langue nationale officielle s'est répandu graduellement au cours des siècles ultérieurs en évinçant peu à peu et non sans difficultés les dialectes et les patois locaux.

Les dialectes et les pafôîslocaux étaient surtout nombreux à l'époque du féodalisme. La France de ce temps-là était partagée en domaines féo­daux isolés vivant chacun de leur vie économique particulière où chaque fief constituait une unité sociale et économique isolée. Ce démembrement économique du pays avait pour résultat le morcellement de la langue. Cha­que grand domaine féodal possédait son dialecte local sans compter les nombreux patois. Ces dialectes locaux, ou régionaux différaient par leur prononciation, leur vocabulaire, leur système grammatical. Ils possédaient leur écriture et leur littérature, ce qui les distinguait des patois qui étaient exclusivement parlés par la population des régions ou localités plus petites.

Les dialectes français étaient des rejetons du latin parlé en Gaule à la fin de l'Empire romain. Ils se laissaient répartir en trois groupes essen­tiels. Ces derniers s'esquissent dès le IXe siècle et apparaissent nettement au Xe siècle : 1) la « langue d'oïl » répandue au Nord et à l'Ouest, 2) la « langue d'oc » dans le Midi et sur le Plateau Central (d'après la manière d'exprimer l'affirmation : oïl- au Nord, oc -dans le Midi), 3) les dialec­tes franco-provençaux répandus dans les provinces situées aux confins de la Suisse. Les dialectes du Midi (de la langue d'oc) avaient subi plus profondément l'influence romane ; les dialectes du Nord (de la langue d'oïl) avaient conservé un plus grand nombre d'éléments gaulois et on y retrouvait les traces de l'influence germanique. Les dialectes franco-pro­vençaux avaient un caractère double : ils possédaient le vocalisme de la langue d'oc, le consonantisme et la palatalisation de la langue d'oïl.

Chacun de ces grands groupes comptait plusieurs dialectes. Ainsi la langue d'oïl comprenait le dialecte de l'Ile-de-France ou le francien, le picard, le normand, le wallon, le lorrain, le champenois, le bourguignon et quelques autres ; à la langue d'oc appartenaient les parlers provençaux, le languedocien, l'auvergnois, le limousin, le gascon. Les dialectes du Nord et ceux du Midi se distinguaient par certaines formes grammatica­les. Les tendances analytiques étaient plus fortes dans les dialectes du Nord. Leur système de déclinaison a été détruit plus tôt. La destruction de l'ancien système de conjugaison était accompagnée du développement et de l'augmentation en nombre des mots-outils. Au contraire, dans les dia­lectes méridionaux les terminaisons verbales se conservaient mieux.

En ce qui concerne le vocabulaire des dialectes, il faut noter qu'il présentait des particularités plus évidentes. Les dialectes possédaient un lexique abondant désignant un grand nombre d'objets concrets particu­liers aux régions où ces dialectes étaient parlés.

Les dialectes étaient un obstacle sérieux à la propagation de la langue française nationale. Au XVIe siècle le français, exception faite pour les habitants de l'Ile-de-France, n'est encore parlé que d'un petit nombre de gens ; il se répand exclusivement comme langue de la littérature et des chancelleries. C'est au XVIIe siècle que le français pénètre dans l'usage des provinces de langue d'oïl, telles que laNormandie, la Champagne, la Bour­gogne, la Basse-Loire qui étaient en contact étroit avec la capitale. Vers la même époque le Midi de la France ne connaissait guère encore le français.

Le XVIIIe siècle marque un tournant décisif dans la propagation de la lan­gue de la capitale dans le pays. C'est surtout après l'avènement de la bour­geoisie au pouvoir à la suite de la Révolution de 1789 que commence l'élimination progressive des dialectes, voire des langues des minorités nationales suivie de la diffusion et de l'implantation du français sur tout le territoire de la France.

§ 75. L'état actuel de la langue nationale française. Les XIXe et XXe siècles sont marqués par les progrès considérables du français. Le développement rapide de l'économie, le service militaire obligatoire, la diffusion de l'instruction y ont largement contribué.

Le français contemporain n'a presque guère conservé de dialectes. Remarquons pourtant que certains d'entre eux n'ont pas totalement dis­paru. Tel est, par exemple, le wallon (au sud de la Belgique) ; le nor­mand quoique fortement entamé se distingue encore par des traits particuliers.

Un mouvement est à signaler en faveur de la résurrection de certains parlers de la langue d'oc, du provençal ou de ce qu'on appelle aujourd'hui l'occitan. Toutefois il est prévisible que, malgré les efforts de quelques enthousiastes, les dialectes, privés de toute base politique et économique, sont voués au dépérissement. Selon le témoignage de A. Sauvageot « II faut être allé de village en village, de mas en mas, en quête de parleurs du provençal ou du languedocien pour avoir compris que ces variétés de langue sont moribondes [39, p. 139].

Par contre, sur le territoire du pays le français national, en se propa­geant jusque dans les coins les plus éloignés du pays, porte l'empreinte des dialectes qu'il a évincés. Ce français quelque peu modifié sous l'in­fluence des dialectes locaux est appelé « français régional ». Le français régional de France n'est rien autre que le français national qui s'est assi­milé quelques particularités dialectales. Le français régional apparaît tout d'abord dans les centres urbains d'où il rayonne sur les campagnes envi­ronnantes en se substituant aux patois locaux parlés encore ça et là par les aborigènes. Donc, le français régional occupe une place intermédiaire entre le français de la capitale et le patois

§ 76. Les caractères essentiels du français régional de France. En France le français régional a subi l'influence des parlers locaux qui se fait surtout sentir sur la prononciation.

La prononciation dans les régions du Nord de la France est à quel­ques détails près la même que celle des Parisiens. La prononciation des originaires du Midi s'en distingue profondément. Le langage y est plus mélodieux, il est caractérisé par un timbre plus élevé ; les voyelles nasa­les n'y existent pas ou bien elles sont prononcées d'une autre manière ; ainsi, par exemple, on fait entendre le n de chanter sous l'influence du mot local « canta ». Selon le témoignage de A. Doppagne la prononcia­tion de enfant pourrait être représentée comme « âne faigne » [43, p. 191].

Un autre trait de l'accent méridional est la présence des [e] devenus muets dans le français de Paris, surtout en position finale.

La prononciation de eu comme [0] dans les syllabes fermées (par exemple, aveugle) est caractéristique des Berrichons et des Lorrains.

La prononciation du français régional conserve parfois des traits ar­chaïques ; ainsi, on prononce [o] - bref et ouvert - dans jaune, rosé dans le Midi de même qu'en Picardie ; l'ancienne prononciation des voyelles finales ouvertes, comme [po] au lieu de [po] pour pot a survécu aux con­fins de la langue d'oïl, de la Charente aux Vosges. Cette diversité des prononciations régionales n'est plus un obstacle à la compréhension com­me elle l'était dans la première moitié du XXe siècle1.

Les distinctions grammaticales du français régional sont moins pro­noncées. Parmi les particularités les plus frappantes il faut mentionner l'emploi, dans les régions du Midi, du passé simple dans la conversation ; la conjugaison du verbe être, et certains autres, avec l'auxiliaire être aux temps composés (par exemple :je suis été, je suis passé) ; l'emploi des tournures comme c'est le livre à Pierre ; l'existence d'un plus grand nombre de verbes pronominaux, par exemple : se manger un poulet, se penser :

Alors, en voyant ça... je me suis pensé : allons voir Numa (A.Daudet).

 

Quant au vocabulaire du français régional il comprend un certain nombre de vocables particuliers, parmi lesquels on rencontre des mots périmés, tombés en désuétude dans le français national littéraire. Tels sont les mots courtil («jardin » et par métonymie « maisonnette de pay­san ») en Bretagne, souventes fois (« souvent ») en Saintonge.

Le français régional, surtout dans le Midi, possède des mots ou des expressions de sa propre fabrication, par exemple : avoir le tracassin -« être turbulent, ne pas tenir en place », millade [mijad] - bouillie de millet », millas(se) ou militasse [mijas] - « divers gâteaux et pâtisseries à base de maïs »,journade - « terrain qu'on peut labourer en une jour­née » ; bastide - « ferme isolée, petite maison de campagne », pierre d'assalier - « pierre à sel pour le bétail », lamparo - « lampe pour attirer les poissons » - en Provence, bombée - « balade, virée » - en Savoie. On y trouve aussi des mots patois comme, par exemple, kichenotte - « capu­chon de paysannes et de pêcheuses servant à les abriter du soleil » en Saintonge ou jouquet - « sorte de hutte » dans les Landes.

Parfois certains mots d'un emploi usuel dans la langue nationale ont dans le français régional un autre sens. Dans le Poitou, quitter s'emploie pour « laisser » ; dans l'Orléanais guetter a conservé le sens ancien de « garder, surveiller » ; en Normandie espérer peut prendre le sens d'« attendre » :

- Eh ! là !... Jeannette. Eh ! là... Espérez un peu, ma mère ; faut que je ramène la vache à l'étable... (A. France)

On retrouve cette même signification dans le Midi.

Les mois peler et plumer sont employés dans certains dialectes, mais, selon le témoignage de P. Guiraud « ...ils assument des sens différents ; ...suivant la région ;plumer prend le sens de « arracher le poil » ou « ôter la peau », peler assumant alors le sens complémentaire » [44, p. 88]. Donc, ces dialectes disposent de ce couple de mots mais chacun l'emploie à sa façon.

 

§ 77. L'action du français sur les parlers locaux. L'action du français sur les parlers locaux1 est surtout manifeste dans le vocabulaire. Toutes les innovations d'ordre social, économique, politique sont dénom­mées par des mots français. Les patois, essentiellement concrets, adop­tent les termes abstraits français. Plus vivaces sont les vocables patois ayant trait à la vie rurale et domestique, aux parties du corps, aux condi­tions atmosphériques, aux coutumes locales. Ainsi en Vendée on se sert encore de la ningle qui est une perche en frêne ou en sapin pour sauter par-dessus les fossés ou pour diriger la yole (« canot de compétition ») ; dans le Nord-Ouest lampotte sert à dénommer un coquillage appelé com­munément « patelle ».

Actuellement les mots et les tours patois sont petit à petit éliminés du langage des jeunes qui voient en eux des vestiges d'un temps révolu.

L'emprise du français est moins forte sur le système grammatical et surtout sur la prononciation des patois.

 

§ 78. L'influence des parlers locaux sur le français national.

Les dialectes locaux en voie de disparition s'incorporaient à la langue nationale en l'enrichissant à leur tour d'un nombre considérable de mots et d'expressions reflétant la culture, les mœurs, les conditions économi­ques et géographiques des régions différentes. Parmi les dialectes qui ont enrichi au cours du temps le français national la première place revient à juste titre aux parlers provençaux. Le français a adopté au provençal des mots tels que : asperge, brancard, cadenas, cadeau, cigale, amour, caserne, cap, cabas (« panier plat en paille, en laine, etc. »), tricoter, casserole, concombre, boutique, cabane, badaud, bagarre, charade, chavirer, charabia, escalier, escargot, fat, jaloux, pimpant, aïguemarine (« émeraude vert de mer »). Certains ont conservé leur halo pro­vençal, tels sont bouillabaisse (« mets provençal composé de poissons cuits dans de l'eau ou du vin blanc »), ailloli (« coulis d'ail pilé avec de l'huile d'olive »), farandole, fétiche, mas, pétanque, mistral.

Avant de devenir le français,-le dialecte de l'Ile-de-France n'était parlé que par des ruraux terriens ignorant à peu près tout ce qui se rap­portait à la mer. Les termes de marine furent plus tard pris par le français au normand, puis au provençal : crevette, galet, homard, salicoque, pieuvre sont venus du normand ; daurade, rascasse, sole (noms de poissons) - du provençal. Il faut ajouter que beaucoup de mots d'origine noroise (vieux Scandinave) ont été introduits dans le français par l'inter­médiaire du normand, tels sont : bâbord, bateau, bord, cingler, hauban, hisser, vague.

Les parlers de la Savoie et de la Suisse française ont introduit dans le français des termes ayant trait aux montagnes : chalet, moraine, avalan­che, glacier, chamois, alpage (« pâturage d'altitude »), replat (« plateau en saillie au flanc d'une montagne »), varappe (« escalade de rochers »), luge (« petit traîneau à main »), piolet (« bâton de montagne ferré à un bout et muni d'une petite pioche ») ; des mots désignant les fabrications locales : gruyère, tomme (sortes de fromage).

Beaucoup de termes se rapportant à l'industrie minière ont été pris aux dialectes picardo-wallons ; tels sont : houille, grisou, coron, faille, benne ; rescapé, forme wallonne de réchappé, a été introduit dans le français commun pour désigner celui qui est resté sauf après la terrible catastrophe de mine de Courrières (Pas-de-Calais) de 1906 et a pris par la suite le sens plus général de « qui est sorti sain est sauf d`un danger ».

§ 79. Les français régionaux en dehors de France. On parle aussi de français régionaux lorsqu'il s'agit de la langue française en usage en dehors des frontières de la France. Au-delà de l`nexagone les français (régionaux à rayon d'action le plus étendu sont ceux de la Belgique, de la ISuisse romande et du Canada.

I Les divergences au sein du français en usage dans ces pays sont avant [tout d'ordre lexical. Ce sont parfois des dénominations de réalités locales, comme, par exemple, les canadismes ouaouaron (m) - « grenouille [géante de l'Amérique du Nord », doré (m) - « poisson d'eau douce esti-[mé en cuisine » ou les belgicismes escavêche (f) - « préparation de poisson ou d'anguille », craquelin - « variété de pain au lait et au sucre », caraque - « une variété de chocolat », cassette - « spécialité de fromage de la région de Namur » ; débarbouillette est un autre canadisme qui correspond en français à « gant de toilette ». Plus souvent ce sont des équivalents de vocables du français central. Ainsi en Belgique on dit amitieux pour « affectueux » en parlant d'une personne, avant-midi (m) [pour « matinée »,fricadelle (f) pour « boulette de viande hachée ». En Suisse clairance (f) et moindre (tout-) sont des synonymes autochtones [de « lumière, clarté » et de « affaibli ; fatigué ». Septante, octanle, nonante sont à la fois des belgicismes et des helvécismes employés pour « soixan-Ite-dix », « quatre-vingts » et « quatre-vingt-dix ». Des mots du français [central peuvent recevoir des sens particuliers. Un cas curieux à l'oreille [d'un français est - présenté par l'adjectif cru qui, tant en Suisse qu'en [Belgique, signifie « froid et humide » (cf. : il fait cru aujourd'hui).

Il faut signaler que certains vocables n'ont pas exactement la même valeur sémantique en France et dans les autres pays francophones. Il en est ainsi de déjeuner, coussin ou odeur qui sont employés respectivement pour « petit déjeuner », « oreiller » et « parfum » dans le français belge. Il est remarquable que les régionalismes « extrahexagonaux » dési­gnent souvent des choses pour lesquelles le français central n'a pas trou­vé de dénomination univerbale. Tels sont, entre autres, les canadismes : poudrerie - « neige sèche et fine que le vent soulève en tourbillons », « avionnerie - « usine d'aviation », ou bien les belgicismes : ramassette - « pelle à balayures », légumier (-ère) - « marchand(e) de légumes ». En ce qui concerne l'origine des régionalismes elle se rattache à la situation géographique, à l'histoire culturelle et linguistique du pays fran­cophone. Les substrats (idiomes en usage avant le français) peuvent être très divers. Pour le français de la Suisse romande et de la Wallonie on retrouve les substrats celtique, latin, dialectal français. Ceci explique, en particulier, le maintien de vocables devenus des archaïsmes dans le fran­çais hors de France : par exemple, entierté - « totalité, intégralité » est courant en Belgique, mais oublié par les Français depuis le XVIIe siècle. Le français du Canada a pour substrat les parlers indiens de l'Amérique du Nord.

Ces français régionaux subissent aussi l'influence des langues voisines (les adstrats). Ce fait est surtout manifeste dans la variante canadienne du français qui se soustrait difficilement à l'emprise de l'anglais d'Amérique.

Aux vocables hérités des idiomes préfrançais viennent s'ajouter des créations indigènes (cf. :fricadelle, clairance et d'autres) dues à l'auto­nomie relative de l'évolution des français en dehors de France.

Les distinctions des « cousins » du français central portent aussi sur la prononciation. Ainsi on reconnaît un Liégeois à sa façon de faire durer les [i] et les [y] (timide, pigeon, flûte) et un Québécois à la prononciation des t et d comme [ts] et [ds] devant les voyelles.

Quant à la structure grammaticale, elle présente le moins de varia­tions.

 

§ 80. Les jargons sociaux. Généralités. La langue est appelée à satisfaire les besoins du peuple en entier, elle sert pareillement toutes les couches sociales. Cependant la présence au sein de la société de classes et de groupes sociaux différents se fait infailliblement ressentir sur la lan­gue, particulièrement sur son vocabulaire. L'existence des divers jargons sociaux en est un témoignage manifeste.

Les dialectes sociaux (ou jargons) se distinguent profondément des dialectes locaux.

À rencontre des dialectes locaux qui sont parlés par des représen­tants de couches sociales différentes, les jargons ont une sphère d'appli­cation étroite parmi les membres d'un groupe social déterminé.

Contrairement aux dialectes locaux, les dialectes sociaux ou jargons n'ont guère leur propre système grammatical et phonétique ; ils le possè­dent en commun à côté d'une partie du vocabulaire avec la langue natio­nale. Donc, les jargons sociaux sont dépourvus de toute indépendance linguistique, ils ne sont rien autre que des rejetons de la langue nationale du peuple tout entier.

C'est pourquoi les jargons sociaux ne peuvent guère devenir des lan­gues indépendantes, ils ne peuvent servir de base à la création de langues nationales.

 

§ 81. Le jargon de l'aristocratie française du XVIIe siècle. Les jargons peuvent être créés par les membres des classes dirigeantes qui se sont détachées du peuple et nourrissent du mépris à son égard. Ces jar­gons de classe se distinguent par un certain nombre de mots et d'expres­sions spécifiques d'un caractère recherché, ils sont exempts des expressions réalistes et « grossières » de la langue nationale. Voulant se singulariser, les couches supérieures des classes dominantes se fabriquaient, en particulier, des « langues de salon ». L'aristocratie mondaine du XVIIe siècle désireuse de s'opposer au « bas » peuple s'est ingéniée à remplacer des mots d'un emploi commun, mais lui paraissant vulgaires, par des pé­riphrases euphémiques inintelligibles et saugrenues, comme : la mesure du temps (« la montre ») ; le témoin des âges (« l'histoire ») ; l'enfant de la nécessité (« un pauvre ») ; la compagne perpétuelle des morts et des vivants (« une chemise ») ; l'ameublement de la bouche (« les dents ») ; lustrer son visage (« se farder ») ;

l 'amour fini (« le mariage ») ; le plaisir innocent de la chair (« l'ongle »), etc.

Rien que ces quelques exemples démontrent à quel point les jargons

de classe sont stériles et même nuisibles à la communication. i

 

§ 82. L'argot. À côté des jargons de classe, il faut nommer l'argot des déclassés, appelé aussi «jargon »'. De même que les jargons de clas­se l'argot des déclassés ne forme guère de langue indépendante. Il utilise les systèmes grammatical et phonétique de la langue nationale et n'a en propre qu'une partie du lexique. Il ne sert guère de moyen de communi­cation à toute la société, mais seulement à une couche sociale restreinte, originairement à des malfaiteurs. L'argot français des déclassés est très ancien, il existe depuis le Moyen Âge.

L'argot était un langage secret destiné à n'être compris que des mal­faiteurs, c'est pourquoi il devait constamment se modifier. Encore V. Hugo qui a consacré dans « les Misérables » tout un chapitre à l'argot, écrit :

« L'argot étant l'idiome de la corruption, se corrompt vite. En outre, comme il cherche toujours à se dérober, sitôt qu'il se sent compris, il se transforme... Ainsi l'argot va-t-il se décomposant et se recomposant saiîs cesse. »

J. Richepin confirme cette idée : « Organisme vivant, en perpétuelle décomposition et recomposition, l'argot est essentiellement instable. C'est du vif-argent. Il passe, court, roule, coule, se déforme, meurt, renaît, flot­te, flue, file, fuit, échappe à la notation. L'instantané qu'on en prend aujourd'hui n'est plus ressemblant demain. »

Pourtant, malgré cette mobilité de l'argot dans son ensemble, pas mal de ses mots sont très vivaces ; il y en a qui existent depuis F. Villon (XVe siècle).

L'argot des déclassés n'est guère un parler artificiel et conventionnel ainsi que le pensent certains linguistes, il n'a rien de commun avec les langues artificiellement créées telles que l'espéranto et le volapiik, son évolution est régie par les lois essentielles du développement de la langue générale. « ...Ses procédés de formation, écrit A. Dauzat, sont ceux de tout idiome, avec les différences conditionnées par le milieu et les be­soins du groupe. » [45, p.19].

Dans son développement accéléré l'argot fait appel aux divers moyens de création et de renouvellement appartenant à la langue commune. Ainsi on y retrouve les mêmes procédés essentiels de formation :

- l'affixation (l'emploi des préfixes et des suffixes courants), par exemple :

dé- : débecter - « dégoûter », < becter - « manger » ; re- : replonger - « être incarcéré de nouveau après récidive » <plonger - « être inculpé ou incarcéré » ; -iste : étalagiste - « voleur à l'étalage » ; -eur, -euse : biberonneur - « alcoolique, ivrogne » ; faucheuse - « mort » et « guillo­tine » ; -âge : battage - « mensonge » ; -ard, -arde fendard- « panta­lon », crevard~« insatiable, qui a toujours faim », soiffard- « qui boit beaucoup », babillards - « langue » ; -ier -.flibustier - « individu mal­honnête » <flibuster ~ « voler, escroquer » ;



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